Lorraine

Les Chemins du baroque ont ouvert des passerelles entre Sarrebourg et le Nouveau Monde

Le 3 mai prochain, l’orgue « Andahuaylillas » résonnera une dernière fois au couvent de Saint-Ulrich de Sarrebourg. Cet ultime concert, qui accueillera le virtuose Yoann Moulin, sera un point d’orgue, mais pas l’épilogue des Chemins du baroque. Au tournant du XXIème siècle, ce fabuleux périple a construit des liens durables entre la ville mosellane et 16 pays sud-américains.

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© Les rencontres musicales de Sarrebourg.

Comment la commune de Sarrebourg (12.500 habitants dans le sud de la Moselle) est-elle devenue le pivot des échanges entre la France et l’Amérique latine en matière de musique baroque ? « Par hasard et sans nécessité », répond joliment Alain Pacquier, cheville ouvrière de ce rapprochement étonnant, dans l’ouvrage « Le retour des caravelles », paru aux éditions Fayard en 2011.

En 1985, cet ancien journaliste passionné de musique baroque et créateur du Festival des musiques anciennes de Saintes, en Charente-Maritime, est recruté par la municipalité de Sarrebourg, après quatre ans passés à la direction de l’Institut des musiques anciennes de Metz. Le maire sarrebourgeois de l’époque, l’ancien Premier ministre Pierre Messmer, s’intéresse aux recherches de sa nouvelle recrue, spécialiste de la musique baroque et de son interprétation au Mexique. Elu à la mairie de Sarrebourg en 1989, son successeur Alain Marty, toujours en fonction aujourd’hui, s’enthousiasme pour une idée insolite. La Ville vient d’acquérir le couvent Saint-Ulrich, bel ensemble architectural du XIXème siècle. Pourquoi ne pas y implanter un festival, le dédier au baroque et mettre le cap sur le Nouveau Monde ?

« A l’époque, le sujet n’intéressait pas grand monde. Charles Stirnweiss, futur maire de Forbach, alors vice-président du conseil départemental de la Moselle en charge de la culture, a été le premier à comprendre le rayonnement que cette idée pouvait apporter au Département. Il a fallu tout construire, jusqu’au label des enregistrements de baroque latino-américain, et les retombées médiatiques ont été extraordinaires », relate Alain Pacquier.

600.000 CD

Le travail intense qui s’engage dès les années 1990 dépasse très vite Sarrebourg et le Mexique. L’imminence des commémorations du 600ème anniversaire de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb en 1492 aiguillonne les partenaires. Des échanges s’engagent entre élèves de Forbach et de Woippy, côté mosellan, et l’Amazonie bolivienne. Alain Pacquier a recruté un jeune coordinateur, Lionel Lissot, qui prend en charge le financement des Chemins du baroque. En une vingtaine d’années, le projet parvient à mobiliser un budget de 4,5 millions d’euros apportés par des sponsors privés, dont la fondation BNP Paribas, et le conseil régional de Lorraine. Il génère bientôt ses propres recettes en créant le label  K617 – du nom du Köchel 617 de Mozart -, qui atteindra 260 références et vendra 600.000 CD.

L’écho des Jésuites

Les Chemins du baroque se prolongent rapidement en Argentine, en Bolivie, au Brésil, au Chili, en Colombie, à Cuba, en Equateur, au Mexique, au Panama, au Paraguay, au Pérou, au Québec, en République dominicaine, au Venezuela et en Uruguay. Nombre de ces pays sortent tout juste de dictatures et veulent renouer avec leur histoire. La période coloniale y tient une place à part. Marquée par des massacres, voire par des ethnocides, elle a conservé la trace de la musique sacrée que les catholiques, et tout particulièrement les Jésuites, firent résonner pour convertir les Indiens. Des premiers airs de Monteverdi en 1606 aux oeuvres de Jean-Sébastien Bach en 1750, cette musique fut interprétée et réinterprétée à l’aide d’instruments eux-mêmes remaniés.

Durant vingt ans, les navettes entre la Lorraine et le continent américain ont permis de retrouver des milliers de partitions dispersées dans toute l’Amérique latine et d’aider les chanteurs et musiciens baroques à se réapproprier les musiques et les instruments.

 Alain Meyer

DR

« Les gens avaient gardé la tradition, mais elle s’était émoussée. Il fallait des guides pour renouer le lien indispensable entre le facteur d’orgue et le musicien. Ce sont ces échanges qui permettent de retrouver le son et de progresser », explique le luthier mosellan Alain Meyer.

Facteur de viole de gambe, cet habitant de Lorry-les-Metz a effectué quatre voyages en Amérique du Sud.

Des Cubains dans la neige

Au total, 600 concerts et trois festivals internationaux ont jalonné les Chemins du baroque, qui ont également permis de sauver ou de restaurer onze orgues au Chili, en Argentine, au Mexique et au Pérou. Dans leur sillage, 400 musiciens ont été formés et des centaines de jeunes lorrains et sud-américains ont vécu des voyages inoubliables d’un bout à l’autre du monde. Les découvertes furent parfois physiquement éprouvantes, tant pour les artistes cubains découvrant la consistance de la neige à Sarrebourg que pour les musiciens lorrains s’essayant aux instruments à vent dans la cordillère des Andes, à 3.000 mètres d’altitude. Mais le souvenir le plus partagé demeure celui d’un grand souffle humaniste.

Une tonalité particulière

Devenu haut lieu européen du baroque, le festival de musique de Sarrebourg propose depuis près de 40 ans une programmation éclectique et prestigieuse qui vaut chaque année à la petite ville mosellane les critiques admiratives de la presse nationale.

L’édition 2025 aura pourtant une tonalité particulière. En octobre dernier, la Ville a cédé le couvent de Saint-Ulrich. Le 3 mai prochain, l’orgue « Andahuaylillas » résonnera une dernière fois dans ce bâtiment, qui sera prochainement converti en hôtel de luxe. L’instrument constitue la réplique de celui que des élèves du lycée professionnel Dominique-Labroise de Sarrebourg ont édifié en 2007 suite au voyage organisé par leurs professeurs au Pérou. L’orgue le plus exotique de Lorraine sera ensuite démonté, puis remonté à Forbach. Le riche fonds documentaire musical entreposé au couvent a été expédié par bateau au Paraguay.

Une ferveur partagée

Du 5 au 9 juin prochain, les 38èmes rencontres musicales de Sarrebourg se dérouleront sur trois sites culturels et religieux de la ville et de ses alentours ainsi qu’à la chapelle Sainte-Blandine et au Temple neuf de Metz. Cette délocalisation ne doit plus rien au hasard et relève bien de la nécessité, mais les intitulés des concerts sont toujours aussi évocateurs. Le 27 mai, le concert d’ouverture « Jour de fête en Amazonie » sera interprété par l'ensemble Baroque Moxos venu de Bolivie. L’ensemble paraguayen Paraqvaria présentera « Splendeurs baroques entre piétisme de la Réforme et ferveur indigène » au temple protestant de Sarrebourg. Les Chemins du baroque ont bifurqué vers le net, où s’échangent désormais contacts et partitions. Mais cette étonnante voie intercontinentale reste ouverte et la musique continue à la traverser.

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L’orgue « Andahuaylillas », qui fera ses adieux au couvent Saint-Ulrich le 3 mai prochain. © Association Amis de Saint-Ulrich

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