A Strasbourg, la Manufacture des tabacs s’ouvre à la vie
La forteresse urbaine au cœur de la ville que constituait l’usine de tabacs pendant un siècle et demi a achevé sa spectaculaire transformation en un lieu animé de formation supérieure, de recherche et d’expressions créatives multiples.
« Plus grande mutation urbaine des dernières décennies à Strasbourg », selon l’appréciation de la municipalité, la Manufacture des tabacs se déploie depuis quelques semaines dans sa reconfiguration définitive. Les derniers travaux d’aménagement ont conclu, cet automne, une bonne dizaine d’années de chantiers. Pour 87 millions d’euros venus pour l’essentiel de l’Etat, des collectivités et de l’aménageur du site, la Société locale d’économie mixte Sers, ils ont métamorphosé l’usine de cigares puis cigarettes née en 1849.
La « forteresse » refermée sur elle-même autour de sa cour carrée emblématique est devenue un petit quartier ouvert, vivant, diversifié. Ainsi que l’avait voulu la Ville qui a défini les grands axes du programme dès 2012, deux ans après la fermeture des ateliers qui formèrent le prototype des manufactures de tabacs du XIXème siècle en France, et trois ans avant le rachat formel par la Sers.
« Nous voulions créer un lieu où il y aurait de la vie à tout moment, grâce à la complémentarité entre les temps forts respectifs des activités diverses. Et un lieu orienté vers des services publics et au public », souligne Alain Jund, actuel conseiller municipal et à l’époque adjoint à l’urbanisme.
Pas de logement
Cet objectif a amené à exclure le logement, « qui aurait été la solution de facilité », selon l’élu. A l’intérieur de la parcelle d’1,5 hectare, les 21 500 m2 de bâtiments réaménagés - presque rien n’a été détruit - se partagent entre quatre grandes fonctions.
L’enseignement supérieur et la recherche forment le pôle principal. Leur dénominateur commun est constitué de l’eau-environnement (école d’ingénieurs Engees, laboratoire ICube) et des géosciences (Ecole et Observatoire des sciences de la terre, EOST), complété par les arts avec une partie de la Haute école des arts du Rhin (Hear). Le soutien à la création d’entreprise se concentre dans les locaux de Semia-Quest for Change, l’incubateur régional de sociétés naissantes.
Le public jeune, mais pas exclusivement étudiants, en quête de voyages de découverte peut aussi trouver son hébergement dans l’ex-Manufacture grâce à un Hostel, une version modernisée de l’auberge de jeunesse.
Aux origines de la Carmen de Mérimée
Enfin, trois espaces assurent une animation constante : coworking et studios de créations sonores et musicales sous la houlette d’une coopérative de créatifs du numérique, espace événementiel ainsi qu'espace de vente de produits de l’agriculture biologique et information sur l’alimentation.
Les deux derniers adoptent des noms en forme de clin d’œil à l’histoire et l’identité du lieu. Karmen Camina, pour l’événementiel, rappelle que Prosper Mérimée s’est inspiré de la manufacture de tabacs strasbourgeois pour le décor de sa célèbre nouvelle Carmen devenue ensuite l’opéra-culte de Bizet. Kooma, pour le magasin bio, se veut une allusion phonétique à l’injonction « venez » en alsacien.
Les étudiants sont ainsi, à eux seuls, plus de 1 500 à se côtoyer dans le lieu qui a bénéficié également d’aménagements paysagers. Son parvis et ses abords retravaillés procurent l’ouverture et la transition vers le quartier de la Krutenau, au sein duquel la « nouvelle » Manufacture ne constitue plus cette enclave mystérieure qui l’avait caractérisée pendant plus d’un siècle et demi.
Le site à la cour carrée s'étend sur 1,5 hectare. © Yerri-Gaspard Hummel