Lorraine

A Bure, Cigéo prépare à bas bruit l’enfouissement des déchets radioactifs

En trente ans, la toute petite commune de Bure, en Meuse, est devenue un épicentre mondial de l’enfouissement des déchets nucléaires hautement radioactifs.

Bure
© ANDRA

Le stade du premier coup de pelle n’est pas encore franchi, mais l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) accélère le tempo pour lancer, d’ici à la fin de la décennie, un chantier qui doit permettre d’ensevelir, à 500 mètres de profondeur, des colis qui resteront radioactifs durant plusieurs siècles.

Perdu aux confins de la Meuse et de la Haute-Marne, le projet Cigéo, qui consiste à enfouir à 500 mètres de profondeur les déchets les plus hautement radioactifs de l'industrie nucléaire française, demeure étonnamment discret. Pour l’heure, seuls les locaux de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), qui scintillent la nuit, signalent la concentration de chercheurs et d’ingénieurs mobilisés pour mener à bien un projet vital pour l’industrie nucléaire française. Afin de régler le problème des déchets hautement radioactifs, Cigéo se propose en effet de les ensevelir à 500 mètres sous terre, dans une couche de calcaire réputée stable depuis 155 millions d’années. L’ouvrage prévoit 270 kilomètres de galeries, soit l’équivalent du métro parisien. Le coût du projet, que les dernières estimations situaient à 25 milliards d’euros, sera certainement réévalué. 

Avancées en sourdine

Méconnu du grand public, le projet Cigéo avance à bas bruit. En ce début d’année 2025, l’Andra finalise sans heurts son programme d’achats fonciers, qui couvre 665 hectares en surface et 200 hectares de tréfonds, entre 250 mètres de profondeur et le noyau de la terre. L’agence, qui annonçait en janvier 2024 avoir acquis à l’amiable 84 % des parcelles en surface, et 21 % des tréfonds, indique aujourd’hui avoir passé ces taux respectifs à 97 % et 68 % de transactions finalisées. Les trois-quarts des 340 propriétaires fonciers contactés au printemps dernier lors d’une enquête parcellaire ont cédé leurs terres, non seulement pour percevoir une indemnité fixée à 6.500 euros par hectare dans le secteur concerné par la déclaration d’utilité publique (DUP), mais aussi pour bénéficier d’échanges qui permettent aux agriculteurs de reconfigurer leur exploitation.

Jean-Pierre Simon

Jean-Pierre Simon, agriculteur à Cirfontaines. © Pascale Braun

« En 2022, j’ai appris que l’Andra souhaitait élargir son emprise de 40 mètres au long de l’ancienne voie ferrée qui traverse mes terres. Dans ces conditions, je craignais de ne plus pouvoir transmettre mon exploitation. J’ai d’abord refusé les offres, mais l’Andra est revenue à la charge et nous avons trouvé un compromis », indique Jean-Pierre Simon, agriculteur à Cirfontaines.
 

Opposant déclaré au projet Cigéo, l’ancien éleveur a obtenu des compensations qui lui permettront d’améliorer sa parcelle.

Le chapitre de la maîtrise foncière n’est pas complètement clos puisqu’une trentaine de propriétaires identifiés lors de l’enquête parcellaire a exprimé son refus. Les premières procédures d’expropriations commenceront au printemps prochain. L’une d’entre elle verra comparaître des opposants historiques à Cigéo, qui ont racheté voici vingt ans l’ancienne gare de Luméville-en-Ornois. Les propriétaires, qui ont fait de la petite gare un lieu de fêtes, conférences et concerts antinucléaires, comptent poursuivre jusqu’à leur terme tous les recours possibles.
 

Des experts sceptiques

Le 16 janvier dernier, l’Andra a pris acte de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) sur son projet d’enfouissement. Dans son communiqué, l’agence retient que « la démonstration de sûreté du fonctionnement des installations de surface et de l’infrastructure souterraine de Cigéo présentée par l’Andra est globalement satisfaisante pour ce stade de développement du projet ».

La Coordination Cigéo/Bure Stop souligne, quant à elle, qu’aux dires mêmes des experts, « la sûreté du stockage n’est pas acquise ». Déjà pointés en 2017, les risques d’explosion en sous-sol que pourraient induire les déchets bitumés subsistent. Ces colis à haut risque représentent près de 20 % du volume de déchets à enfouir. L’Andra promet de proposer un nouveau mode de stockage moins dense dans les alvéoles, tout en maintenant son calendrier de travaux.
 

Le règlement du Titanic

Sous réserve d’une Demande d’autorisation de création (Dac) escomptée en 2026, les premiers enfouissements ne pourraient commencer qu’à l’horizon 2080. Les questions de sûreté subsisteront bien au-delà au-delà de la fermeture du stockage, dans trois à quatre siècles. Cet échéancier vertigineux inspire à l’avocat parisien Etienne Ambroselli, défenseur des opposants depuis dix ans, une comparaison ironique: « Je vois Cigéo comme une sorte de Titanic où tout semble bien se passer. La vie y semble assez douce, et on a tout loisir de discuter du règlement intérieur. Les déchets hautement radioactifs n’arriveront pas avant une cinquantaine d’années. Nous sommes tranquilles pour deux ou trois générations, puisque ce sont nos descendants qui auront à gérer la question, sans règlement sur papier glacé et sans doute, sans sourire », prédit l’avocat.

Sur place, le projet se poursuit dans une relative indifférence. Mais la “Maison de la résistance”, à Bure, voit converger une jeunesse festive et combattante. Les festivals alternatifs, tels les les Bure’lesques, mais aussi les affrontements violents de 2017 au Bois Lejuc, ont positionné le village de 84 habitants sur la carte de grandes contestations écologistes.
 

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