Grande Région – Rhin supérieur

A peine créée, la Confédération européenne des frontalière s’affirme combative

Regroupant quatre associations défendant les travailleurs luxembourgeois et suisses, la nouvelle structure se mobilise en priorité sur la parution imminente d’un décret gouvernemental français relatif à l’indemnisation des demandeurs d’emplois frontaliers et à de nouveaux prélèvements imposés aux retraités polypensionnés.

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Copyright André Faber.

En lançant maladroitement une première réforme de l’indemnisation chômage des travailleurs frontaliers en octobre dernier, l’Etat français a impulsé une concertation inédite entre associations frontalières. Les porte-paroles d’organisations centrées sur la Suisse et sur le Luxembourg se sont rapprochés pour la première fois afin de créer la Confédération européenne des travailleurs frontaliers (CEF). Les présidents de l’asbl Frontaliers Luxembourg, Afal (Association d’aide aux travailleurs frontaliers) côté franco-luxembourgeois, l’Association d’Aide aux frontaliers (ADF) et l’Amicale des frontaliers côté suisse se proposent d’intervenir de manière coordonnée et d’exprimer des positions communes aux niveaux nationaux et européens.

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DR

« Les premières propositions du gouvernement Barnier en octobre dernier sur l’indemnisation du chômage nous ont paru clairement discriminatoires. Les travailleurs frontaliers étant confrontés aux mêmes préoccupations côté suisse, nous avons effectué un déplacement à Pontarlier, dans le Doubs, pour nous concerter sur des problématiques communes », explique Pascal Peuvrel, président de l’Afal et cofondateur de Frontaliers Luxembourg.

L’Afal, qui compte 2.000 adhérents, se consacre depuis plus de vingt ans au soutien individualisé des frontaliers. Elle leur apporte une assistance juridique, fiscale et sociale, ainsi qu’un accompagnement tant dans les relations avec l’administration luxembourgeoise que dans leur recherche d’emploi. Elle organise ce samedi 15 mars sa traditionnelle journée des frontaliers dans l’enceinte du centre commercial Géric, à Thionville.

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Copyright Afal.

Créée en juin 2024, Frontaliers Luxembourg se positionne, quant à elle, comme un think tank représentant l’ensemble des frontaliers français, allemands et belges auprès des autorités luxembourgeoises.

Gagner en représentativité

La CEF fixe comme enjeux prioritaires l’indemnisation du chômage aux niveaux national et européen, la question des cotisations CSG/CRDS des polypensionnés et la réglementation du télétravail transfrontalier.

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Jean-Marc Koenig, président d’ADF. DR

« Nous nous sommes rendu compte que si chacun poursuivait sa petite action dans son coin, nous n’y arriverions pas. Il faut se faire reconnaître par les autorités et obtenir le fait d’être associés aux concertations entre gouvernements », estime Jean-Marc Koenig, président d’ADF.

Fondée voici quatre ans à Habstein et animée par des bénévoles, l'association leur assure une aide personnalisée aux travailleurs haut-rhinois exerçant dans la région de Bâle. Ses interventions sont d’autant plus efficaces qu’elle a conclu des conventions avec France Travail, les caisses de retraite et l’administration fiscale. Intervenant en complément de structures institutionnelles comme Infobest, elle prodigue également une aide en matière de rédaction des CV et des accompagnements au long cours.

Un décret attendu de pied ferme

La parution d’un décret du gouvernement français, présenté comme imminent, concerne l’indemnisation chômage des travailleurs frontaliers et cristallise le mécontentement des composantes de la CEF. 

Cet automne, la première proposition de réforme, qui prévoyait d’appliquer une forte décote aux indemnités chômage des travailleurs frontaliers, est restée lettre morte, le gouvernement Barnier ayant reculé devant le risque d’inconstitutionnalité de la mesure. Mais la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, reconduite aux mêmes fonctions par le gouvernement Bayrou, n’a pas tardé à exposer de nouvelles propositions. Un projet de décret présenté au Parlement le 11 janvier dernier veut indexer l’indemnisation du demandeur, non plus sur le salaire perçu dans le pays de travail, mais sur le salaire habituellement pratiqué pour le même métier en France. Il doit également redéfinir l’offre raisonnable d’emploi (ORE) pour obliger le demandeur d’emploi frontalier à accepter les offres du marché français même si leur rémunération est bien moins attractive qu’au Luxembourg, en Allemagne ou en Suisse.

Aucune des composantes de la CEF n’a été consultée en amont de la parution du décret et toutes rejettent unanimement cette double perspective.

« Il est trop facile de monter les travailleurs les uns contre les autres et de présenter les frontaliers comme de riches profiteurs. Ils se lèvent très tôt, travaillent bien plus que 35 heures par semaine et lorsqu’ils perdent leur emploi, ils sont très motivés pour en retrouver un pour pouvoir maintenir leur niveau de vie », assure Jean-Marc Koenig.

L’ADF indique douter fortement de la légalité du futur décret, notamment au regard du droit européen qui protège la libre circulation des travailleurs.

Une directive communautaire réinterprétée

Plus récente, la question de l’imposition au titre de la CSG et de la CRDS, des retraites versées par l'État employeur aux retraités frontaliers, risque de prendre de l’ampleur. Le Conseil d’Etat a statué dans un arrêt du 25 octobre 2024 sur « le traitement applicable aux pensions de retraite d’États membres différents et la faculté pour l’État membre compétent d'asseoir les cotisations sur la totalité des pensions perçues par l’intéressé». L’arrêt propose une nouvelle interprétation d’une décision rendue par la cour administrative de Lyon en 2023, qui exemptait une retraitée des cotisations supplémentaires de contributions sociales sur les pensions de source suisse. Le Conseil d’Etat estime à présent que le règlement européen du 29 avril 2004 n'interdit pas à l'État membre compétent d'asseoir les cotisations sur la totalité des pensions perçues de deux ou plusieurs États membres par une même personne.

« Cette interprétation des textes européens nous paraît scandaleuse. Si les cotisations sociales supplémentaires ne sont pas exigibles sur les revenus des travailleurs frontaliers, pourquoi le seraient-elles sur les retraites ? », interroge Pascal Peuvrel.

Cohésion et cohérence

De même, la jeune confédération d’associations devra se mettre au clair avec les organisations syndicales, tantôt jugées comme des partenaires utiles, tantôt qualifiées de « dépassées ». Son poids dans les négociations dépendra également des relations qu’elle saura construire avec les représentants politiques nationaux et européens investis sur les thématiques transfrontalières – lesquels s’avèrent peu nombreux et parfois divisés. La CEF, qui compte à moyen terme se déployer sur d’autres frontières françaises, devra faire preuve de cohérence et de diplomatie pour relever la gageure de devenir la première organisation transfrontalière représentative du demi-million de travailleurs frontaliers répartis entre Luxembourg et Genève.

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