Du Luxembourg à Bâle, l’IA préfigure un hot spot européen de la santé
Grande Région et Rhin supérieur disposent de nombreux atouts dans l’innovation numérique et la santé. Le Luxembourg espère jouer un rôle pivot pour transformer ce potentiel en un laboratoire de l’excellence et de la souveraineté européennes.

Virales, les promesses de l’Intelligence artificielle affectent tous les secteurs, pour le meilleur et le pire. En santé, elles ouvrent des perspectives vitales, et les agglomérations de Luxembourg, de Strasbourg, de Sarrebruck et de Bâle comptent bien faire valoir leurs atouts. La Grande Région et le Rhin supérieur représentent un écosystème transfrontalier de grand intérêt pour l’Union européenne, qui avec l’EHDS (European Health Data Space Regulation) avance à grands pas vers l’interopérabilité des données.
Enact-IA vise la santé
En 2019, le Grand Est avait conçu un plan Intelligence artificielle doté de 350 millions d’euros. En janvier dernier, la Région a lancé le cluster Enact-IA, porté par l’Université de Lorraine. Doté de 50 millions par an sur cinq ans, le projet veut faire de la région un leader européen de l’intelligence artificielle dans trois domaines, dont la santé.
« Le Grand Est est la deuxième région française pour les serveurs de santé, hors Paris. Les forces vives sont bien implantées sur l’ensemble du territoire, avec le supercalculateur Romeo et l’Institut de l’Intelligence Artificielle en Santé (IIAS) à Reims, Enact-IA en Lorraine, l’Ircaad et l’IHU* à Strasbourg », note Sébastien Plénat, directeur des opérations de Biovalley France, pôle de compétitivité santé du Grand Est, qui fédère les acteurs dans une communauté "IA et numérique en santé".
Un puzzle transfrontalier
Si Strasbourg se distingue par son innovation médicale de pointe, Sarrebruck accueille le centre de recherche allemand pour l'intelligence artificielle DFKI, et constitue l’un des Digital Hub Artificial Intelligence du programme fédéral DE:Hub. A Karlsruhe, le KIT est un établissement d’enseignement et recherche d’envergure mondiale dans les nouvelles technologies. Bâle détient quant à elle une puissante industrie pharmaceutique. Les composantes d’un écosystème transfrontalier se trouvent donc réunies.

Dr Elke Lieb, experte-consultante pour Hive et l’incubateur The bridge de l’Université de Sarre. DR
« Les compétences en IA développées dans chacun des quatre pays pourraient être réunies à la manière d’un puzzle. L’aventure pourrait commencer par une sandbox [littéralement : bac à sable, environnement sécurisé dans lequel des startups testent et développent leurs produits] au sein de l’Uni-GR, qui ferait de la Grande Région un laboratoire expérimental européen », souligne le Dr Elke Lieb, experte-consultante pour Hive et l’incubateur The bridge de l’Université de Sarre.
L’article 13 du traité d’Aix-la-Chapelle, qui facilite la réalisation de projets transfrontaliers dans les domaines économique et sanitaire, pourrait ainsi prouver son efficacité.
Petit Luxembourg, grande Europe
Le Grand-Duché, qui dispose du Luxembourg institut of health (IHL) et du Centre interdisciplinaire pour la sécurité, la fiabilité et la confiance SnT de l’Université du Luxembourg, pourrait jouer un rôle clé. Le pays possède l’un des supercalculateurs les plus performants d’Europe, Meluxina, qui accueillera bientôt la première IA Factory de l’espace frontalier ainsi que l’ordinateur quantique Meluxina-Q. Focalisé sur le numérique depuis une décennie, le Grand-Duché place le numérique, la data et l’IA au cœur de la stratégie.

Jean-Philippe Arié, directeur du cluster des technologies de la santé à Luxinnovation. © Luxinnovation
« Dans le domaine de la data, le Luxembourg était confronté à un problème d’échelle, avec ses 670.000 habitants. La réglementation européenne EHDS (European Health Data Space Regulation), qui entrera en application en 2029, prévoit l’interopérabilité des données dans l’Union européenne, le résout. Dans le cadre du développement de la médecine personnalisée, l’accès à des datas quantitatifs et qualitatifs, combiné aux capacités des supercalculateurs luxembourgeois, constitue une opportunité pour le pays, s’il parvient à mettre en place un écosystème cohérent pour valoriser ces données », explique Jean-Philippe Arié, directeur du cluster des technologies de la santé à Luxinnovation.
Cluster paneuropéen au Luxembourg
Le pays pourra aussi s’appuyer sur la startup Hive, dont la levée de fonds doit aboutir dans quelques semaines. L’entreprise est déjà installée sur le He:al Campus d’Esch-sur-Alzette. D’ici 2035, ce site devrait accueillir l’hôpital du sud du pays ainsi qu’un cluster complet dédié à la santé, sur une superficie qui pourrait atteindre 100.000 hectares, selon l’agence publique de développement Luxinnovation.

Andreea Munteanu, chargée de communication de Hive. DR
« Il manquait un acteur qui anime cet écosystème. Hive doit offrir à ses membres les services qui leur font défaut, en facilitant les connexions à haute valeur ajoutée. Aujourd’hui, les clusters sont axés sur les régions. L’ambition de Hive est de constituer un réseau paneuropéen. Il constituerait aussi un guichet d’entrée commun pour les entreprises extra-européennes », explique Andreea Munteanu, chargée de communication de Hive.
Scynergy à la Chambre de commerce
En quatre mois, Hive indique avoir cartographié plus de 500 acteurs dans les deux domaines. Une centaine d’entre eux - la plupart au basés au Luxembourg et Allemagne, mais aussi en France et en Belgique -, ont « déjà manifesté leur volonté de rejoindre cet écosystème », indique Andreea Manteanu. La chambre de commerce de Luxembourg accueillera certains de ces acteurs au forum SCynergy 2025, dédié au calcul haute performance (HPC), à l'intelligence artificielle et à l'informatique quantique, les 28 et 29 avril prochains.
Clinnova en précurseur
D’autres initiatives transfrontalières sérieuses ont déjà vu le jour. Lancé en 2021 et précurseur dans le domaine de la santé, Clinnova réunit des acteurs de Bâle, du Grand Est, du Luxembourg, du Bade-Wurtemberg et de la Sarre. Le projet mobilise l’intelligence artificielle pour collecter et analyser des données numériques sur les patients, pour rien moins que guérir et prévenir des maladies, en particulier inflammatoires auto-immunes. Il est actuellement en cours de développement clinique.
En lançant un appel à la constitution de clusters locaux sous le nom d’EDIH (European Digital Innovation Hubs) en 2020, l'Union européenne a aussi déclenché une dynamique transfrontalière inattendue, à l'échelle plus large du numérique. Depuis l'automne dernier, la labellisation EDIH bénéficie à la Wallonie (WalHub), au Luxembourg, à la Sarre, au Grand Est (Grand E-Nov+), ainsi qu’aux deux dossiers du Bade-Wurtemberg : EDIH – AICS (Artificial Intelligence and Cyber Security) autour de Karlsruhe, et EDIH-Südwest (Fribourg-en-Brisgau, Villingen-Schwenningen, Tübingen). Ces experts entendent créer leur propre réseau transfrontalier pour bénéficier d'une concentration de compétences sans équivalent en Europe.
* Ircad (Institut de recherche contre les cancers de l'appareil digestif) et IHU (Institut hospitalo-universitaire, chirurgie digitale augmentée).
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