Droits de douane sur les vins et champagnes : vraiment, so long, America ?
Champagne et vins allemands de la Moselle ou d’Alsace exportent une part majeure de leur production au pays de l’oncle Trump, mais seraient diversement impactés par une hausse des droits de douane.

« Le soleil sort, les bourgeons débourrent : un coup de gel nous coûterait bien plus cher que les hausses des taxes douanières américaines », sourit Olivier Humbrecht, à la tête du domaine Zind-Humbrecht, à Turckheim en Alsace. A l’heure des rodomontades du président américain, qui menace de surtaxer les vins et spiritueux européens de 200 % si l’Union s’aventure à appliquer 50 % de droits de douane sur les whisky US, la remarque a la mérite de replacer la nature au centre du jeu viticole. Il n’empêche, les Etats-Unis constituent la première destination à l’export pour les vignobles de Champagne et de Rhénanie-Palatinat, et la deuxième pour celui d’Alsace.
Sabrer le champagne
« Simple effet d’annonce ou réelle menace ? Cette énième mesure de rétorsion dans la guerre commerciale qui oppose Etats-Unis et Union européenne inquiète des deux côtés de l’Atlantique », confie Christine Sevillano, vigneronne à Vincelles, dans la vallée de la Marne, et présidente de la Fédération de vignerons indépendants de Champagne.
La Champagne retient son souffle
Première région viticole concernée et première exportatrice du Grand Est vers les USA - et de loin, avec 810 millions d’euros et 27 millions de bouteilles en 2023 -, la Champagne retient son souffle mais entend, pour l’heure, conserver son sang-froid. Pour mieux tenter de peser, sans doute. La part de l’export de l’effervescent n’a cessé de croître et atteint désormais 56,4 % du total des ventes. Dans cette équation, les Etats-Unis se détachent largement, devant le Royaume-Uni (25,5 millions de bouteilles pour 550 millions d’euros) et l’Allemagne (11,7 millions de bouteilles pour 268 millions d’euros). Or, sur fond de contexte national et international incertains, l’année 2024 s’était déjà avérée décevante, avec -9,2% de bouteilles expédiées par rapport à 2023, tous marchés confondus.
Privilège des puissants
Président de l’Union des maisons de champagne (UMC, qui représente les négociants) et, en tant que tel, co-président du Comité champagne, David Chatillon s’est dit « préoccupé » et a rappelé la position de l’interprofession : 0 % de droits de douane sur les vins et spiritueux américains, et réciproquement. Quant au groupe LVMH (Dom Pérignon, Moët & Chandon, Veuve Clicquot, etc.), dont le président Bernard Arnault a assisté à l’investiture de Donald Trump, il s’est abstenu pour l’heure de réagir officiellement. Lors de son premier mandat, le chef d’Etat américain avait renoncé à taxer le champagne, alors que les vins tranquilles européens au taux d’alcool inférieur ou égal à 14 degrés avaient déjà été grevés de 25 %.

© Catherine Daudenhan
Les rieslings mosellans dans le rouge
Côté allemand, les viticulteurs du pays de Bade exportent peu vers les Etats-Unis. Les rieslings de Moselle, le plus important vignoble du pays, sont en revanche appréciés des Américains, et la Rhénanie-Palatinat écoule 10 % de sa production Outre-Atlantique. Il s’agit d’une moyenne et le Weinbauverband Pfalz (Fédération viticole de la Pfalz) alerte sur le fait que certains viticulteurs exportent plus de la moitié de leur production aux USA. En France, dans la petite AOC (Appellation d’origine contrôlée) Moselle, le château de Vaux à Scy-Chazelles commercialise chaque année 3.000 bouteilles aux Etats-Unis, deuxième pays d’export après le Royaume-Uni.
« Nous travaillons avec quatre à cinq importateurs américains depuis nos débuts, voici près de 25 ans. Comme ce marché n'est pas prioritaire, nous n'avons pas cherché à savoir précisément quelles taxes allaient s'appliquer, mais je ne vois pas comment ils pourront vendre du vin taxé à 200 % ! » indique Norbert Molozay, exploitant du Château de Vaux.
L’Alsace mise sur le rapport qualité-prix
En Alsace, l’export concerne 26 % de la production, et les USA se classent à la seconde place (12% des exportations), après la Belgique. En 2023, les ventes globales de vins alsaciens s’étaient établies à 500 millions d’euros. La menace d’une surtaxe de 200 % laisse les viticulteurs perplexes.
« Une nouvelle taxe à 25 % me paraît plus réaliste. Je pense que les vins alsaciens, qui ont un très bon rapport qualité-prix, sont en mesure de digérer une hausse de ce niveau. Ça pourrait faire plus mal aux appellations plus chères », estime Eddy Leiber-Faller, cogérant du domaine Weinbach à Kaysersberg, dont les Etats-Unis représentent, avec 20 % du chiffre d’affaires, la première destination à l’export.

Olivier Humbrecht, à la tête du domaine Zind-Humbrecht et président du Syndicat international des vignerons en culture biodynamique Biodyvin. © Leif Carlsson
« 200 %, ce n’est plus une taxe. Si les hausses décidées sont raisonnables, entre 10 % et 15 %, avec le taux de change et le bon état de l’économie américaine, nous pouvons les absorber. Si nous souffrons ici, toute la filière va aussi souffrir là-bas, ce serait un gâchis », analyse Olivier Humbrecht. La maison Zind-Humbrecht exporte 15 % de sa production aux Etats-Unis, soit 25.000 cols par an.
Règle des trois-tiers
Le domaine famille Hugel, à Riquewihr, est doublement concerné par la menace de hausse des droits de douane. L’entreprise réalise 14 % de son chiffre d’affaires aux Etats-Unis, son premier marché à l’export. Elle est aussi coactionnaire d’une société d’import américaine, intégralement détenue par des acteurs européens.

Jean-Frédéric Hugel, directeur commercial du domaine famille Hugel à Riquewihr. © Atelier Chez Elles
« Avec la règle des trois-tiers [le vin importé doit passer par un importateur, un distributeur et un détaillant ou restaurateur, NDLR], chaque dollar importé de France crée quatre dollars de valeur aux USA », rappelle Jean-Frédéric Hugel, directeur commercial du domaine famille Hugel à Riquewihr.
Les USA font la loi
Les effets de la précédente hausse de 25 % des droits de douane en 2019 avait été mesurés. A l’instar du domaine famille Hugel, de nombreux viticulteurs français ou allemands et leurs importateurs aux USA s’étaient entendus pour réduire leurs marges respectives. Les annonces actuelles surviennent cependant dans un climat économique moins favorable, tandis que la diversification des marchés à d’export est déjà une réalité pour les viticulteurs alsaciens.
« Les Etats-Unis constituent un marché développé et mûr, plus stable sur le long terme que les marchés émergents. Ils vont rester incontournables. Ce qui m’inquiète plus, c’est l’effet domino des décisions américaines sur l'économie et la consommation d'autres pays, qui seraient aussi frappés par des hausses des taxes, Chine ou Japon par exemple », note Eddy Leiber-Faller.
L’incertitude devrait être en partie levée ce mercredi 2 avril, avec l’annonce du prochain volet de mesures protectionnistes américaines visant l’Europe. Celles-ci détermineront les contre-mesures de l’Union, qui devraient entrer en vigueur le 13 avril, et par ricochet une possible nouvelle réaction états-unienne dans la foulée.
© André Faber