Lorraine

Le sel, trésor lorrain de la Protohistoire

La Lorraine fut une terre d’industrie dès le premier âge de Fer. Les immenses gisements salifères du  Saulnois, au sud de la Moselle, engendrèrent une civilisation du sel qui prit, du VIIe au Ier siècles avant Jésus-Christ, des dimensions stupéfiantes.

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© Musée d’archéologie nationale.

Autour de Marsal, Moyenvic, Vic-sur-Seille, Burthecourt et Salonnes, les collines du sud mosellan cachent un très vieux secret : leurs formes douces ne sont pas uniquement façonnées par de la terre, mais aussi par d’antiques briquetages que les populations locales utilisaient voici trois millénaires pour produire du sel. L’amoncellement de ces déchets industriels de l’âge du Fer représente, selon les estimations des archéologues, entre 4 et 6 millions de mètres cubes, soit bien plus que les pyramides de Khéops, dont le volume est estimé à 2,5 millions de mètres cubes !

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Michel Rémillon, président des Amis du musée du sel de Marsal © Université de Lorraine

« Le volume de briquetage du Saulnois est le plus grand du monde. Il confirme l’importance de ce gisement de sel qui était certainement connu depuis le temps des chasseurs-cueilleurs. Avec les débuts de l’agriculture, il est devenu primordial : sans sel, les aliments ne se conservaient pas et les troupeaux dépérissaient », explique Michel Rémillon, président des Amis du musée du sel de Marsal.

Un empire industriel

Un siècle et demi de recherches archéologiques ont permis de remonter le temps et de mieux comprendre l’importance qu’a revêtue, 800 ans avant l’ère chrétienne, l’énorme gisement de sel gemme de Marsal. Enfoui à 50 mètres de profondeur à peine, il confère aux rivières qui l’écrêtent un taux de salinité de 90 grammes par litre, largement supérieur aux 35 grammes environs pour la mer du  Nord. C’est pourquoi la rivière Seille, qui prend sa source à l’étang de Lindre pour se jeter dans la Moselle à Metz, abrite des plantes typiquement marines, telles la salicorne.

Située à plus de 300 kilomètres des côtes, cette manne a permis de fonder dans le Saulnois un véritable empire industriel. Le sel était obtenu en faisant chauffer de l’eau salée sur des empilements de bâtonnets d’argile constituant des briquetages. La saumure ainsi produite était versée dans des moules en argile, puis recuite, le moule étant ensuite cassé pour obtenir un pain de sel. Cet amoncellement de briquetage fut sans doute à l’origine d’une catastrophe industrielle : les besoins en combustible ont entraîné une déforestation massive. Les 7 millions de tonnes de déchets générés en cinq siècles ont peu à peu obstrué les cours d’eau. Le changement climatique, renforçant l’humidité et la froidure, a contribué à transformer les vallées sèches en marécages.

Une manne muséale

Après la guerre de 1870, les archéologues allemands furent les premiers à s’intéresser aux gisements salins de la Moselle occupée. Dans les années 1970, les recherches de l’ex-conservateur régional de l’archéologie Jean-Paul Berthaud, contribuèrent à démontrer l’intérêt du site. Mais les monticules d’argile effleurant à ciel ouvert continuaient d’intriguer. L’ex-sénateur Philippe Leroy, décédé en 2019, s’est investi personnellement dans la mise en valeur de cette histoire locale, tout au long de son mandat de président du conseil général de la Moselle, de 1992 à 2011. Sous son impulsion, le musée du sel de Marsal, régi sous une forme associative depuis 30 ans, a obtenu le label de musée de France. Fermé pour cause de vétusté en 2017, le site estampillé « Passionnément Moselle », installé dans la Porte de France édifiée par Vauban, a rouvert après la crise sanitaire en 2021. Il propose de nouvelles animations numériques, mais ne présente pas encore l’intégralité des pièces retrouvées durant les 20 ans de fouilles engagées au début des années 2000 sous l’égide du musée d'archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye. Laurent Olivier, historien et conservateur général du patrimoine en charge des collections d'archéologie celtique et gauloise, a supervisé la recherche.

« De nombreux éléments de sépultures sont entreposés à Saint-Germain-en-Laye pour inventaire et étude. Elles reviendront au musée car j’ai signé avec Laurent Olivier une convention indiquant que tout ce qui provient de Marsal reviendra à Marsal », affirme Michel Revillon.

Des soupçons de travail forcé

De 2001 à 2018, des équipes archéologiques françaises, britanniques, chinoises ou allemandes se sont succédé pour investiguer une zone de 10 kilomètres de longueur. Les repérages héliportés ont permis de localiser des tombes princières, laissées intactes dans l’attente d’un programme de fouilles plus précis.

Mi-2005, les archéologues ont mis au jour, en creusant une tranchée exploratoire, une zone funéraire circulaire du troisième siècle avant J.-C. comportant les ossements d’une dizaine de Gaulois. Les corps semblent avoir été exposés, puis inhumés tantôt horizontalement, tantôt verticalement, les jambes se trouvant enterrées à distance des troncs et les crânes étant retournés.

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Fouilles à Marsal en 2015.© Musée d’archéologie nationale.

Des pierres d’ambre de la Baltique et du corail de Méditerranée disséminés dans les briquetages témoignent de l’opulence des artisans du sel et d’échanges commerciaux intenses. Les outils de tisserands, pots à sel et autres poteries donnent également des indications sur la vie quotidienne des artisans au cours des deux pics de production préhistoriques du sel, au VIè siècle avant notre ère, puis à l’époque gauloise, vers - 200.

Dans un premier temps, la manne salifère a profité aux autochtones. L’enrichissement local semble néanmoins se tarir à l’époque gauloise. La production augmente pourtant, atteignant plusieurs dizaines de milliers de tonnes de sel par an, mais elle paraît contrôlée par des aristocraties éloignées. Sur place, certains indices évoquent le recours au travail forcé. En 2014, les archéologues ont découvert dans un silo à grains les restes de quatre hommes et de quatre femmes sans lien de parenté. Les nombreuses fractures des côtes et des poignets indiquent qu’ils ont été soumis à de lourdes charges.

L’exploitation salifère s’est achevée avant l’avènement de l’ère romaine. Pour autant,  le sel a continué à écrire l’histoire du Saulnois du Moyen Age au XVIè siècle et se prolonge de nos jours, avec les dernières mines de sel de Meurthe-et-Moselle.

VN+ reviendra au cours des prochaines semaines sur cette longue épopée.

L’association des Amis du musée du sel de Marsal organise des conférences scientifiques mensuelles. La prochaine, animée par le géologue Christian Pautrot, se tiendra à la salle des fêtes de Marsal le 4 octobre prochain à 20 h.

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© Musée du sel de Marsal

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