Grand Est

« L’idée que l’Homme puisse s’approprier la terre est très méprisante vis-à-vis du vivant »

Gaspard Koenig, président du Festival international de géographie de Saint-Dié

Philosophe, essayiste et écrivain, Gaspard Koenig présidera le Festival international de géographie (FIG) de Saint-Dié qui se tiendra les 4, 5 et 6 octobre prochain. L’intitulé  « Terre », qui ouvre cette 35ème édition, inspire à l’auteur de « Humus » une réflexion riche et profonde.

Gaspard Koenig
Gaspard Koenig © Elodie Grégoire.

Pourquoi avoir confié la présidence d’un festival de géographie à un philosophe ?

C’est aux organisateurs du FIG qu’il faudrait poser la question. A mon sens, la philosophie s’accompagne d’une pratique de terrain. S’enfermer mène à un esprit de système trop facile et à des conclusions fausses, tandis que le voyage et le vagabondage peuvent alimenter la pensée. Qu’il s’agisse de mes reportages, comme « Voyages d'un philosophe au pays des libertés », de mon essai « Nos vagabondes libertés » ou de mon roman « Humus » (*), j’ai lié la philosophie à une pratique du territoire. La philosophie est toujours une promenade. Il est logique qu’elle s’incarne dans la géographie.

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© FIG 2024

Qu’évoque pour vous le terme de terre, qui sera le fil conducteur du FIG cette année ?

La terre est un mot précis qui décrit avant tout le sol, au sens physique du terme. La terre varie en fonction des terroirs et fait fructifier des cultures différentes. Les maisons elles-mêmes émanent de pierres issues de la structure physiologique de la terre. La terre joue par ailleurs un rôle quasi métaphysique. Elle transforme la vie en mort et la mort en vie : par différents processus chimiques et bactériologiques, et notamment grâce aux vers de terre, elle décompose les cadavres pour les transformer en de nouvelles formes de vie.

Quels sont les rapports entre la terre et la ville ?

La terre ne cesse de dissoudre le passé. La ville est une tentative de stabiliser ce mouvement et d’ignorer la terre. Les ravalements de façade en sont un signe révélateur : il ne s’agit pas de nettoyer les traces de la pollution, mais d’effacer cette terre qui ne cesse de remonter au long des murs, de même que l’herbe repousse entre les pavés. La civilisation veut arrêter ce phénomène. Cette tentative est vaine, car la terre est une machine à renaître. Tchernobyl, où la ville s’est transformée en forêt, en est un exemple. La science commence tout juste à défricher la terre. Elle met 1.000 ans à se former et on connaît à peine 1 % de sa composition. Il est certain que l'on n'en prend pas assez soin - ce qui est inhumain, au sens propre du terme, puisque les mots « humain » et « humus » partagent la même étymologie. Respecter la terre ne signifie pas forcément retourner à la campagne. Il ne faut pas opposer ville et campagne : par ses pratiques, on peut prendre soin de la terre tout en vivant en ville.

Comment appréhendez-vous la question des terres que l’on accapare, que l’on occupe ou que l’on fuit ?

Le caractère d’appropriation et le rapport tribal à la terre me gênent toujours un peu, car j’y vois une source de guerres et de conflits. Le droit de propriété, qui est d’origine agricole, est la base de la modernité. Le terme latin « abusus » définit le droit de prendre et de détruire. L’idée que l’Homme puisse s’approprier une terre est très méprisante vis-à-vis du vivant. Il me semble important d’intégrer cette notion de vivant à la perspective politique. L’idée de s’identifier à la terre, de vouloir s’en rendre maître, de se battre pour y poser des limites et des frontières est absurde au regard de la continuité écologique.

Au cours des trois dernières années, vous avez occupé l’actualité en créant votre mouvement politique, « Simple », en vous présentant à l’élection présidentielle de 2022, puis en ratant de justesse le prix Goncourt 2023 avec « Humus ». Quelle est la continuité de ce parcours ?

Durant dix ans, j’ai travaillé sur la question de la liberté humaine individuelle et de la liberté en société. J’ai tiré de ces réflexions des conclusions politiques, notamment en faveur du revenu universel et de l’autonomie locale. J’ai créé le think-tank Génération libre, puis le parti politique Simple. J’en ai déduis que je ne pouvais pas m’accommoder d’une structure fonctionnant sur un mode vertical. J’ai donc dissous mon parti et transmis Génération Libre à la philosophe Monique Canto-Sperber. Je suis à présent libre de tout engagement collectif. Je vais poursuivre mon travail à titre personnel et individuel. Je publie ce mois-ci un essai intitulé « Agrophilosophie » et je prépare un roman sur l’eau. Mon travail porte aujourd’hui sur une couche plus profonde : inscrire sa réflexion philosophique dans l’environnement change beaucoup de choses et cette nouvelle strate va beaucoup m’occuper au cours des années qui viennent."

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© Editions de l’Observatoire.

Voyages d'un philosophe aux pays des libertéséditions de l'Observatoire, 2018.

Notre vagabonde liberté (A cheval sur les traces de Montaigne), éditions de l'Observatoire, 2020.

Humus, roman, éditions de l’Observatoire, août 2023 ; Prix Interallié et Prix Jean-Giono 202332.

Agrophilosophie, éditions de l’Observatoire, septembre 2024.

 

 

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