Mi-belge, mi-luxembourgeois, Martelange prospère sur deux frontières

Seul village de Wallonie à empiéter sur le territoire luxembourgeois, Martelange constitue un cas d’école du fait frontalier dans la Grande Région. Les frontières juridiques perdurent et les déséquilibres économiques se creusent, mais la commune ne se plaint pas de sa singularité.

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© FTBL - Willems

Plus que frontalière, Martelange-Rombach  constitue une commune littéralement siamoise.  Depuis la création de l’Etat belge en 1830, une route devenue la Nationale 4 y fait office à la fois de cordon ombilical et de frontière entre la province belge du Luxembourg et le canton luxembourgeois de Redange. Le versant luxembourgeois du village se distingue par la douzaine de stations-service alignées au long de la route, puis par le quartier plutôt chic de Rombach.

Une catastrophe transfrontalière

Dans l’esprit des habitants, ce continuum forme une même entité. Les habitants gardent en mémoire la catastrophe du 21 août 1967, qui lui a conféré une funeste notoriété. Ce jour-là, un camion en transit vers la France, dont le chargement se composait de 47.000 litres de GPL, a raté l’un des virages de la sinueuse route nationale. Encastrée dans le pont surplombant le pont de la rivière Sûre, la citerne a explosé. Catapultée côté luxembourgeois,  la cabine a enflammé plusieurs stations-service. La citerne a quant à elle été projetée côté belge, enflammant les maisons.  L’accident a tué 22 personnes et fait 47 blessés.

Ubu n’est pas roi

La notion de territoire indissociable  a réémergé en 2020, lors de la crise sanitaire. En théorie, ni les Luxembourgeois, ni les Belges n’auraient dû traverser la frontière. Un respect scrupuleux des consignes sanitaires aurait même interdit aux Luxembourgeois de venir faire le plein dans leur propre pays, puisqu’ils auraient dû franchir une portion de territoire belge. Une sagesse partagée à éviter de tomber dans des travers ubuesques.

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Daniel Waty, maire de Martelange. © Ville de Martelange

« Même lors du covid, la frontière est restée très perméable. La police et les politiques ont décidé de ne pas embêter les gens. C’est pourquoi le covid n’a pas été vécu comme une perte de liberté", raconte Daniel Waty, bouurgmestre de Martelange.

Solidarité et sueurs froides

La solidarité spontanée des 2.223 habitants de Martelange  se saurait à elle seule abolir deux siècles de construction législative différente. Ainsi, en cas de catastrophe, les pompiers luxembourgeois sont généralement les premiers à arriver sur les lieux du sinistre avec un matériel très performant. Mais leurs bénévoles sont recrutés à partir de l’âge de 16 ans tandis que les pompiers belges – et les assureurs – ne tiennent les interventions pour légale qu’à partir de 18 ans. La solidarité s’accompagne ainsi de quelques sueurs froides.

Sur le plan médical, les travailleurs frontaliers belges, qui représentaient 63,4 % de la population active en 2021, peuvent se faire soigner gratuitement au Luxembourg. Tout citoyen belge est par ailleurs libre de solliciter une consultation auprès d’un généraliste luxembourgeois, mais il lui en coûtera 55 euros, que le système de santé belge ne remboursera qu’à hauteur de 17 euros.

Une coopération inédite perdure en revanche dans le domaine funéraire : le cimetière de Martelange accueille les défunts de Rombach, qui en est dépourvu, et perçoit à ce titre une compensation versée par le Luxembourg. Une station d’épuration transfrontalière filtre par ailleurs les eaux belges avant leur arrivée en territoire luxembourgeois.

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Roger Cayzelle, président de l’Institut de la Grande Région. DR

 « Martelange concentre toutes les problématiques des communes frontalières de la Grande Région : la pression immobilière qui joue sur le prix du foncier, la question de la rétrocession fiscale et la recherche d’un développement plus équilibré », estime Roger Cayzelle, président de l’Institut de la Grande Région.

L’association transfrontalière basée à Metz a invité une vingtaine de ses membres à visiter la commune le 4 juin dernier. La délégation s’est intéressée aux opérations de développement rural (ODR) qui ont permis la création d’une passerelle, la construction et l’extension d’une maison communale ou encore,  la création d’un circuit du petit patrimoine.

Une rétroccession bienvenue

« La taxe correspondant au nombre d’habitants génère une recette fiscale de 170.000 euros. La rétrocession que nous accorde le Grand-Duché s’élève quant à elle à 402.500 euros pour 2023. Cet apport considérable nous a permis de créer des services publics, des crèches pour les enfants et des services aux personnes âgées », souligne Daniel Waty. Bourgmestre du village depuis 30 ans, l’élu ne se représentera pas à l’issue de son mandat en octobre prochain.

Ravie d’avoir presque doublé sa population en l’espace de 35 ans, la commune a vu émerger plusieurs nouveaux quartiers presqu’exclusivement peuplés de travailleurs frontaliers, généralement belge, mais parfois aussi de Luxembourgeois ne parvenant plus à se loger dans leur pays.

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Franz Clément, chercher au liser.DR

« Martelange constitue un laboratoire frontalier à plusieurs titres. Ses quartiers de frontaliers sont caractéristiques, car il ne s’y passe rien en journée. De même, l’activité économique s’est déplacée côté luxembourgeois, car compte tenu de la fiscalité luxembourgeoise, il serait inepte de s’implanter côté belge. Mais les employés des commerces luxembourgeois frontaliers sont presque tous belges », pointe Franz Clément.

L’héritage de l’ardoise

Un nouveau quartier d’une centaine d’appartement en cours de construction à Martelange  doit beaucoup à la tradition ardoisière du village. Construits, puis aussitôt vendues à des travailleurs frontaliers, les appartements sont d’autant plus attractifs qu’ils se situent au droit d’un immense réservoir de 500.000 mètres cubes laissée par l’extraction d’ardoise durant le XXème siècle. Cette manne alimente aujourd’hui un système de chauffage par géothermie qui  apporte aux futurs habitants une chaleur presque gratuite.

Les vestiges de l’extraction ont également permis la création, en 2022, du Musée de l’Ardoise de Haut-Martelange, sur le versant luxembourgeois. Doté d’un escalier de 375 marches débouchant, à une profondeur de 420 mètres, sur une impressionnante piscine, le musée a déjà accueilli 25.000 visiteurs l’an dernier.

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Le Musée de l’ardoise© Flashabiky Mining.

« Je suis convaincu que les coopérations futures porteront que le tourisme et la culture", affirme Daniel Waty. Le  parcs naturel de la Sûre et son homologue belge Parc naturel Hautes Fagnes-Eifel  coopèrent d’ores et déjà dans le cadre d’une zone fonctionnelle transfrontalière cofinancée par les fonds Interreg.

Ce mardi 25 juin, c’est un pan d’histoire spécifiquement belge auquel rendra hommage la Marche européenne du souvenir et de l’Amitié (Mesa)  qui commémoreles combats des Chasseurs ardennais contre l’invasion allemande en 1940. La seconde des quatre étapes d’une trentaine de kilomètres fera escale à Martelange. 

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© Zoé Gelders.

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