Rhin supérieur - Grande Région

Le loup entre en scène dans le melting pot transfrontalier

Du 2 au 6 décembre à Strasbourg, le comité permanent de la Convention de Berne tranchera la demande de rétrogradation du statut de protection du loup déposée par la Commission européenne. Dans le Rhin supérieur et la Grande Région, deux sous-populations européennes ont commencé à se mêler.

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© Germain Bergé

Sans prendre la peine de montrer patte blanche, le loup se joue des frontières du Rhin supérieur et la Grande Région depuis une quinzaine d’années. Éradiqué au XIXe et XXe siècles, il s’y réinstalle progressivement, à la faveur notamment de son statut d’espèce « strictement protégée » depuis 1979 (1) par la Convention de Berne. Et en ce moment, un chapitre biologique remarquable s’écrit sur le territoire, où les sous-populations européennes « italo-alpine » et « d’Europe centrale » ont commencé à se mêler (2). Dans ce contexte, la récente proposition de la Commission européenne visant à rétrograder le statut de protection du loup inquiète scientifiques et associations de protection de la nature.

Chacun son interprétation

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Luigi Boitani, professeur de zoologie à l'Université Sapienza de Rome et président du groupe d’expert Large carnivore initiative for Europe au sein de l'Union internationale pour la conservation de la nature. DR

« La proposition de déclassement est dangereuse car chaque pays pourra plus facilement gérer ses loups comme il l'entend, sans se soucier des populations auxquelles ils appartiennent. En théorie, les loups déclassés devront être maintenus dans un état de conservation favorable, mais les pays interprètent cette obligation selon des approches très diverses », soutient Luigi Boitani, président du groupe d’expert Large carnivore initiative for Europe au sein de l'Union internationale pour la conservation de la nature (3).

40 kilomètres par jour

Les loups italo-alpins et d’Europe centrale ne sont plus classés parmi les espèces vulnérables, mais dans le Rhin supérieur et la Grande Région, leurs effectifs sont encore étiques. Dans cet espace politique très morcelé, la gestion des populations lupines reste à la discrétion des administrations compétentes de chaque pays. Les loups, revenus naturellement en parcourant jusqu’à 40 kilomètres par jour, suivent quant à eux leur propre agenda.

Sous tutelle des Länder

La sous-population d’Europe centrale a essaimé à travers toute l’Allemagne. En Rhénanie-Palatinat, la campagne de suivi de l’année 2023-2024 a permis d’identifier une dizaine de loups installés, dont un couple et deux meutes. Dans le Bade-Wurtemberg, trois mâles vivent actuellement en Forêt-Noire. Les deux Länder ont la particularité d’accueillir des individus appartenant aux deux sous-populations. « La Rhénanie-Palatinat a une responsabilité particulière pour la diversité génétique des loups européens », souligne ainsi le plan de gestion de l’animal de ce Land. Quant à la Sarre, elle a vu un premier loup en 2023 et des traces ont été relevées à plusieurs reprises depuis.

Louveteaux métissés en Wallonie

Dans le Grand Est français, le loup est réapparu en 2011, dans le sud des Vosges. Il ne s’y est implanté que sur la pointe des coussinets. Seuls trois individus solitaires y ont depuis établi domicile, un dans les Hautes-Vosges, un en Haute-Marne, le troisième au voisinage de la Bourgogne. Tous les trois sont d’ascendance italo-alpine, mais un individu de la lignée d’Europe centrale a été abattu - prélevé dans le cadre d’une autorisation dérogatoire - dans le sud du département des Vosges en 2020. Au Luxembourg, un premier loup a été repéré en 2017. Six autres présences ont été confirmées, sans présence permanente néanmoins. Quant à la Wallonie, elle accueille actuellement trois meutes et 20 à 25 loups au total dans une zone de présence permanente de 60.000 hectares du nord-est de la province, entre Hautes-Fagnes et le Nord Eifel. Deux d'entre elles sont transfrontalières. Un couple mixte (femelle d’Europe centrale, mâle italo-alpin) a donné naissance en 2023 à une portée de louveteaux hybrides.

 

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En 2024, dans les Vosges. © Observation Carnivores Sauvages

Du castor au loup

Entre les acteurs de terrain, administrations et associations présentes dans les différents États, des relations de travail existent. La collaboration entre les autorités sarroises et luxembourgeoises a débuté récemment. Le Land a invité le responsable du monitoring du loup de l'Administration de la nature et des forêts du Grand duché pour un premier échange, le 28 octobre dernier. « La forme concrète de la coopération va maintenant être négociée. Nous prévoyons d'entrer en contact avec la France sous une forme similaire », précisent les services du ministère de l'Environnement de la Sarre.

« Avec les Belges, nous avons commencé à coopérer sur le castor. Lorsque les premières traces de présence du loup ont été relevées en Wallonie et au Luxembourg, nous avons formé nos pairs, à la demande de l’administration des deux pays. Nous poursuivons les collaborations. Elles sont informelles, mais ça fonctionne plutôt bien », affirme Marie-Laure Schwoerer, chargée de l’animation du suivi loup-lynx dans le Grand Est au sein de l’Office français pour la biodiversité.

Analyses incompatibles

Mais cette coopération pragmatique et opportuniste a ses limites. Par exemple, les laboratoires français et allemands - ces derniers analysent également des échantillons belges -, fournissent des résultats génétiques qui ne sont pas comparables entre eux. « Nous gagnerions tous à davantage de coopération transfrontalière. Nous avons des expériences multiples qu’il serait utile de partager. En termes de bonnes pratiques, j’apprécie notamment la culture de mise à disposition des informations au grand public chez nos voisins, notamment à travers leurs sites internet régulièrement mis à jour. Bien que cela ne soit pas transposable en tant que tel en France en raison d’une organisation différente du suivi, cette communication est très utile pour améliorer la coexistence avec l’espèce », analyse Marie-Laure Schwoerer.

Wolf Meeting au Bénélux

Des instances transnationales ont vu le jour pour accompagner le retour du loup. De ce point de vue, le Bénélux fait figure de précurseur, avec son Transboundary Wolf Meeting BeNeLux+, une réunion technique qui rassemble chaque année, outre des représentants des pays du Benelux, l’Allemagne et la France. Mais il s’agit surtout d’échanges d’informations et de bonnes pratiques. Fondée notamment par l’association française Ferus, l’European Alliance for Wolf Conservation (EAWC) constitue quant à elle une plateforme d’échange scientifique et de lobbying en faveur du canidé sauvage à l’échelle du continent.

Compter, comprendre, gérer

« Les experts et les techniciens des différents pays entretiennent de bonnes relations et partagent leurs données et expériences, mais il n'existe pas de cadre formel organisé par les institutions officielles. Or, travailler de manière transfrontalière à l'échelle d’une population de loups présente de nombreux avantages. Cela permet d’évaluer l'état d’une population avec des méthodes identiques, d’atteindre un état de conservation favorable dès les premiers stades de l’installation, mais aussi une plus grande flexibilité sur le nombre de loups à prélever, quand cela est nécessaire », souligne Luigi Boitani.

Peut-être la North Western Europe Wolf Cooperation (NWEWC) lancée en 2023 changera-t-elle la donne ? Ce groupe informel réunissant les administrations d’Allemagne, de Belgique, du Danemark, de la France, du Luxembourg et des Pays-Bas a pour ambition « d’établir un plan de gestion pour le loup. L’idée est de rapporter sur l’état de conservation du loup à l’échelle populationnelle et non d’un plus celle d’un État, ainsi que de chercher ensemble des solutions pour limiter les conflits avec des loups au comportement problématique », indiquent les services wallons. Le groupe se réunira pour la première fois en présentiel le 27 novembre à La Haye. Alors que le retour naturel du loup est acté, ce signal atténuera peut-être les inquiétudes, quelques jours avant le verdict du comité permanent de la Convention de Berne, sur lequel Voisins-Nachbarn reviendra.

(1) La Convention a été ratifiée par les 50 États du Conseil de l’Europe (sauf Saint-Marin), incluant les 27 de l’Union européenne.

(2) Neuf sous-populations de Canis lupus sont à l’heure actuelle disséminées à travers le continent européen.

(3) Luigi Boitani a présenté l’Évaluation de la conservation du statut du loup en Europe devant le Comité permanent de la Convention de Berne à la fin 2022.

 

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