Sarre - Rhénanie-Palatinat - Bade-Wurtemberg

Face à l’extrême droite, le cordon sanitaire s’effiloche et les partis se déchirent aux frontières

Avec un texte retoqué sur le fil par le Bundestag, la CDU de Friedrich Merz a brisé un tabou en acceptant les voix du parti d’extrême droite AfD. Dans les régions frontalières comme la Sarre, le Bade-Wurtemberg et la Rhénanie-Palatinat, de nombreux dirigeants politiques restent attachés à une Europe ouverte.

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Friedrich Merz, leader de la CDU et auteur du texte anti-immigration. © Photo by Steffen Prößdorf / CC BY-SA 4.0.

Avec une énergie trumpienne, Friedrich Merz, chef de parti de l’Union démocrate Chrétienne (CDU) et candidat à la chancellerie, s’est promis d’apporter des changements forts et radicaux avant même la tenue des élections fédérales. L’attaque au couteau à Aschaffenbourg, perpétuée par un Afghan sous obligation de quitter le territoire, justifiait selon Friedrich Merz un raidissement sans précédent. Après la politique d’accueil assumée par Angela Merkel en 2015, la CDU et Friedrich Merz jouent la carte de la fermeté. Ce dernier a soumis au Bundestag, ce mercredi 29 janvier 2025, un texte anti-migratoire, comportant des contrôles frontaliers constants et des mesures de détention immédiate pour des entrants non régularisés. Ce vendredi 31 janvier 2025, le Zustrombegrenzungsgesetzes (loi sur la limitation de l'afflux de migrants) n’est finalement pas passée en deuxième lecture au Bundestag : 338 députés ont voté pour, 349 contre.

Le cordon sanitaire a craqué

Ce texte positivement accueilli par l’AfD a fait tomber le pare-feu (Brandmauer), l’équivalent du cordon sanitaire dans le jeu politique francophone, qui vise à exclure l’extrême droite de toute coopération politique avec les partis traditionnels allemands. Le Zustrombegrenzungsgesetz comporte cinq points chauds : des contrôles permanents à toutes les frontières allemandes, l’interdiction d’entrer sur le territoire sans papiers valables, la privation immédiate de liberté pour tout entrant non régularisé, davantage de soutien pour les Länder afin de renvoyer les personnes non régularisées ainsi que le durcissement du droit de séjour pour les délinquants et les personnes jugées « dangereuses ».

La confiance est rompue

Alexander Schweitzer, ministre-président de la Rhénanie-Palatinat (SPD) et défenseur de la liberté de circuler pour les habitants de la Grande-Région, reproche aux conservateurs d’avoir provoqué une rupture démocratique : « La CDU/CSU de Friedrich Merz a quitté le centre démocratique et a cherché le soutien de l'AfD pour mettre en œuvre des objectifs politiques ». Même si Friedrich Merz assure toujours que la CDU ne fera jamais une coalition avec l’AFD, la confiance est désormais rompue avec les partis concurrents, plus à gauche. Le fiasco parlementaire présage un nouveau scénario post-électoral : la SPD ainsi que Die Grünen pourraient rechigner à entrer dans une coalition avec la CDU.

Dirk Engelhardt, porte-parole du comité directeur de l'association allemande des transports routiers de marchandises, a critiqué les conséquences de la loi anti-immigration, auquel la CDU tient toujours malgré le revers parlementaire : « les chaînes d'approvisionnement deviendraient de plus en plus imprévisibles. Les entreprises situées dans les régions frontalières et dont l'activité principale est le transport transfrontalier seraient particulièrement touchées ».

Des avis divergents au sein de la CDU

Les personnalités politiques allemandes adoptent des positions divergentes au sein de la Grande Région. La SPD rejette toute fermeture des frontières. Mis à part quatre abstentionnistes, 203 députés de la SPD ont voté contre la loi anti-immigration. La ministre-présidente sarroise Anke Rehlinger milite pour un arrêt immédiat des contrôles actuels, mis en place par son chef de parti Olaf Scholz sous la pression de l’AfD : « D'un point de vue sarrois, je n'aime pas les contrôles aux frontières et je souhaite que nous trouvions un scénario de sortie le plus rapidement possible. Ce n'est pas l'Europe que je souhaite : une Europe dans laquelle nous ignorons Schengen ».

Avant le vote, Marion Gentges (CDU), ministre de la Justice du Land de Bade-Wurtemberg, estimait que « les contrôles aux frontières française et suisse contribuent largement à endiguer l’immigration illégale ». Or, des dissidents combattent cette position au sein même de la CDU, à commencer par le maire de Sarrebruck Uwe Conradt. Dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron et Olaf Scholz, il écrivait fin janvier : « Une Europe unie vit de l'ouverture des frontières - et Sarrebruck, en tant que centre de l'Eurométropole, doit rester reliée librement et sans entrave à la France », il demandait l’arrêt immédiat des contrôles à la Brême d’Or.

Le dimanche 2 février, près de 600.000 citoyens ont manifesté dans les rues contre l’extrême droite et indirectement contre le coup de poker de Friedrich Merz. Au moins 15.000 personnes sont également descendues dans les rues de Sarrebruck, conscientes que des contrôles frontaliers durables seraient un frein à la mobilité transfrontalière.

Un dilemme cornélien aux frontières

Les libéraux-démocrates de la FDP, classés au centre-droit et menés par l’ancien ministre des finances Christian Lindner, jouent sur les deux tableaux. Sur 90 députés, 67 ont voté pour la loi de Friedrich Merz. La FDP estime que les contrôles aux frontières ne devraient pas constituer une solution à long terme, mais jugent qu’il s’agit d’une réponse adéquate à la crise migratoire actuelle.

A l’échelle fédérale, les autres partis, plus à gauche sur l’échiquier politique allemand (à l’exception de BSW), sont strictement opposés aux contrôles frontaliers. Les écologistes Die Grünen et les socialistes-démocrates Die Linke (fondé par le sarrois Oskar Lafontaine, mari de Sahra Wagenknecht) ont tous voté contre le texte de Friedrich Merz et demandent un arrêt immédiat des contrôles actuels. Cette position est critiquée en Allemagne, jugée très laxiste.

Les élections fédérales du 23 février 2025 vont redessiner la composition du parlement allemand. Selon les dernières projections, la CDU et l’AfD pourraient obtenir la moitié des sièges au Bundestag… de quoi relancer un deuxième épisode. Le dilemme sera particulièrement cornélien aux frontières.

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