Electoralement, la cause transfrontalière ne paye pas
Connus et souvent reconnus pour leur travail sur les thématiques transfrontalières, Christophe Arend en Moselle, Xavier Paluszkiewicz en Meurthe-et-Moselle et Sylvain Waserman en Alsace ont été battus au deuxième tour des législatives françaises. Les coopérations transfrontalières avec le Luxembourg, l’Allemagne ou la Belgique ont pourtant transparu, tantôt en filigrane, tantôt en thèmes majeurs de la campagne au long des frontières.
Défricher les thématiques arides des conventions fiscales, des coopérations sanitaires, du télétravail ou du travail détaché s’avère une tâche bien ingrate. Militant de l’amitié franco-allemande et de l’ouverture des frontières, Christophe Arend (Renaissance) a été battu par Kevin Pfeffer (Rassemblement national) qui a obtenu 56 % des suffrages dans la ville de Forbach, contiguë de la Sarre. Rapporteur de la convention fiscale franco-luxembourgeoise, spécialiste du télétravail transfrontalier et auteur d’une résolution sur le statut du travailleur frontalier européen, Xavier Paluszkiewicz (Renaissance) a été distancé par Martine Etienne (Nupes) dans la troisième circonscription de Meurthe-et-Moselle, qui regroupe les communes de Longwy, Mont-Saint-Martin et Villerupt, immédiatement frontalières du Luxembourg. Dans le Bas-Rhin, Sylvain Waserman (Modem), membre du comité de coopération transfrontalière où il a œuvré pour un vademecum du travail détaché ou la reconnaissance de la vignette écologique Crit’Air côté allemand, a été distancé par Emmanuel Fernandès (Nupes).
« J’ai fait campagne pour un projet européen et humaniste face à un candidat qui se cantonnait dans le dénigrement. La question des frontières a joué un rôle important dans ma campagne, mais aussi dans ma défaite, du fait du problème non réglé de la double imposition des frontaliers et des mauvais souvenirs liés à la fermeture des frontières, alors que l’on me sait proche de l’Allemagne », analyse Christophe Arend.
Kévin Pfeffer confirme avoir été fréquemment interpellé à propos de la double imposition des revenus du travail temporaire qui se poursuit en dépit de deux décisions juridiques allemandes préconisant une imposition à taux zéro.
« Nous solliciterons la commission des Affaires étrangères pour interpeller nos voisins sur ce dossier prioritaire qui pénalise fortement les habitants de la circonscription », assure Kévin Pfeffer.
Inquiétudes sarroises
Conscient des inquiétudes que suscite, parmi les élus sarrois, l’élection d’un député Rassemblement national, le trésorier du RN, également membre du conseil régional du Grand Est, indique vouloir franchir la frontière pour aller à leur rencontre. « Depuis que nous ne voulons plus sortir de l’Europe, nous entendons poursuivre et développer les coopérations transfrontalières, notamment en matière de formation et d’apprentissage des langues », affirme Kévin Pfeffer, qui compte également briguer un siège à l’assemblée franco-allemande.
Suspense à l’assemblée franco-allemande
La composition de cette jeune institution, créée dans la foulée du traité d’Aix-la-Chapelle pour renforcer les coopérations franco-allemandes et transfrontalières, sera fortement affectée par le résultat des législatives françaises. Sa composante française devra trouver un nouveau président pour remplacer Richard Ferrand, qui a perdu son siège de député du Finistère. Christophe Arend, qui présidait le bureau, sera également remplacé. En revanche, à l’exception de Sylvain Waserman, tous les membres alsaciens du conseil parlementaire franco-allemand qui se représentaient – les macronistes Vincent Thiébaut (Haguenau) et Bruno Studer (Strasbourg) et les LR Patrick Hetzel (Bas-Rhin) et Raphaël Schellenberger (Haut-Rhin) ont été réélus.
La représentation des députés français, qui devra refléter la composition politique de l’Assemblée nationale, reste encore incertaine. Son mode de fonctionnement, qui requiert au moins 51 voix sur 100 votants pour adopter ses délibérations et propositions de résolutions, présente une fragilité. Si certaines composantes politiques venaient à pratiquer la politique de la chaise vide ou de l’abstention, l’assemblée franco-allemande serait condamnée à l’immobilisme.
Dans le Pays Haut, une convention piège
Dans le nord lorrain, où vivent une large part des 100.000 frontaliers travaillant au Luxembourg, le problème de la nouvelle convention fiscale franco-luxembourgeoise que le député Xavier Paluszkiewicz appelait de ses vœux l’a contraint à des explications, voire à des justifications compliquées.
« Je revendique d’être à l’origine de la première visite d’Etat entre Emmanuel Macron, le couple Grand-Ducal et le Premier ministre Xavier Bettel en mars 2018. J’ai prôné la révision de la convention fiscale entre les deux pays, qui datait de 1958. Mais ce sont les services de l’Etat qui ont rédigé ce texte qui, dans son intitulé, entendait éviter la double imposition des frontaliers. Dans les faits, l’effet a plutôt été contraire », regrette l’ancien député.
Devenu rapporteur – pour avis, et non pas sur le fond, mais cette nuance échappe au plus grand nombre -, de cette convention, Xavier Paluszkiewicz n’a pas tardé à relayer auprès de l’administration les interrogations soulevées par les fiscalistes et syndicats locaux. L’assurance que la convention ne causerait de double imposition que dans 150 à 200 cas a vite été battue en brèche : 45.000 contribuables se sont avérés concernés. L’élu assure avoir évoqué la menace d’une procédure constitutionnelle pour obtenir la suspension de cette convention. Il a ensuite négocié le remboursement du trop perçu – que seuls 40 % des ayant-droit ont fait valoir.
Oubliettes
« Je savais que je jouais mon mandat sur cette question », reconnaît l'ex-parlementaire, qui regrette de n’avoir pas pu obtenir de clarification. Il s’est également investi en fin de mandat dans la stabilisation de l’accord franco-luxembourgeois sur le télétravail pour confirmer son extension à 34 jours par an, sans incidence sociale ou fiscale. Il a par ailleurs obtenu la validation, par les autorités françaises, d’une résolution créant un statut européen du travailleur frontalier. Le texte devra à présent être soutenu au niveau européen. Mais, dans un contexte de guerre, le sujet risque de ne pas paraître prioritaire et même de tomber aux oubliettes. Dans le nord lorrain, il n’a pas suffi à mobiliser les travailleurs frontaliers qui semblent s’être massivement abstenus. Les votes de gauche sont allés à la candidate Nupes. Cette dernière n’évoquait pas la question frontalière dans sa profession de foi.
Six propositions transfrontalières
Dans la deuxième circonscription du Bas-Rhin, Sylvain Waserman, candidat à la réélection sous les couleurs du Modem, avait inscrit à son programme pas moins de six propositions transfrontalières. Il souhaitait renforcer l’enseignement de la langue du voisin, notamment par des jumelages entre écoles. Des schémas de développement transfrontalier opposables, cosignés par les Länder, la Région Grand Est et les échelons nationaux, devaient définir des projets d’intérêt prioritaires en matière de développement économique, de formation professionnelle, de recherche, de reconversion de friches industrielles ou de projets universitaires. Les eurodistricts, redéfinis comme « bassins de vie », devaient acquérir les compétences d’EPCI (établissement public de coopération intercommunal) transfrontaliers, tandis que les communes se seraient vu offrir la possibilité de nouvelles coopérations. Une commission franco-allemande de stratégie transfrontalière (comFAST) aurait été dédiée au suivi des « irritants » vécus par les citoyens, tandis qu’une instance pérenne devait faciliter la concordance des droits et des pratiques dans les territoires transfrontaliers. Enfin, chaque jeune français ou allemand devrait vivre, au cours de sa scolarité, au moins une expérience de citoyenneté à Strasbourg.
Bien naturels communs
Vainqueur de l’élection avec 51,3 % des voix, Emmanuel Fernandes, militant de la France insoumise investi par la Nupes, s’inscrit dans la continuité de son prédécesseur en matière de relations franco-allemandes. Lui-même bilingue, l’ancien étudiant en allemand compte également redéployer l’enseignement de l’allemand en créant de nouveaux postes en partie dédiés à l'enseignement des langues vivantes régionales et étrangères.
Durant sa campagne à Strasbourg-Sud et à Illkirch Graffenstaden, le candidat estime avoir touché du doigt une relation particulière.
« Nous nous sommes rendus à vélo au Jardin des Deux Rives entre Strasbourg et Kehl - symbole de cette entente - qui est commun à nos deux pays et qui, bien souvent, constitue un lieu de fête et de respiration ; ces aménités sont chères à nos deux pays. Nous avons aussi milité aux abords du Port du Rhin qui souligne notre bien naturel commun : ce fleuve nous uni dans la défense de l'environnement, dans la mise en place de mobilités fluviales douces, dans la production d'hydroélectricité renouvelable, dans la préservation des écosystèmes », indique le nouveau député dans un message écrit.
Mieux-disant social
Le militant de la France insoumise souhaite que soit revue de fond en comble la directive sur le travail détaché, quitte à mettre un terme à sa transposition dans le droit du travail français. « L’Union européenne doit défendre un mieux social pour tous et non une concurrence sociale pour chacun. Je souhaite donc défendre une clause de mieux-disant social (…) incitant à la réciprocité envers les autres États, ce qui permettrait également une valorisation des conquis sociaux étrangers en France », conclut le député.
Toujours en Alsace, la transition entre Yves Hemedinger (LR), qui s’impliquait sur le volet transfrontalier de la reconversion du territoire de Fessenheim à Colmar (Haut-Rhin) et Brigitte Klinkert (Ensemble !), qui l’a battu sur le fil, ne devrait pas se traduire par un ralentissement des coopérations. A Haguenau (Bas-Rhin), le macroniste réélu Vincent Thiébaut, président du Centre européen de la consommation à Kehl, rendorce sa stature de parlementaire de référence du transfrontalier.
Les Ardennes veulent la réciprocité
Dans la deuxième circonscription des Ardennes, la thématique transfrontalière a plutôt porté chance à Pierre Cordier (LR), largement réélu au deuxième tour des législatives, avec près de 70 % des voix après un premier mandat au cours duquel il n’a jamais manqué de défendre la réciprocité des biens et des services dans un bassin de vie très intégré.
“Il n’y a aucun autre endroit où la France va aussi loin dans un pays que la pointe de Givet. Nous sommes entourés par nos amis belges. À Givet, à Revin, à Fumay, on va faire ses courses en Belgique, on y envoie ses enfants à l’école, on va s’y faire soigner. La réciprocité entre les deux pays doit bénéficier à ce territoire en termes d’études, d’accueil de la patientèle, comme au niveau des commerces”, plaide le député.
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