Grande Région- Rhin supérieur - Europe

Contrôle aux frontières allemandes : silence, regrets ou consentement

Entré en vigueur ce 16 septembre, le retour des contrôles policiers aux frontières allemandes sous couvert de lutte contre l’immigration clandestine aurait pu mettre l’espace frontalier en ébullition. Les journaux régionaux de la Grande Région et du Rhin supérieur reflètent pourtant plus de diplomatie compassée et d'inquiétudes pragmatiques que de défense du principe de libre circulation.

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En pleines turbulences au sommet de la Commission européenne, le retour des contrôles policiers aux frontières allemandes semble être passé au second plan. L’Union elle-même s’est contentée de regrets de pure forme. L’Etat français s’est abstenu de tout commentaire officiel, tant par peur de fragiliser une relation franco-allemande déjà bringuebalante que faute de représentant audible. Dans l’espace frontalier, les réactions sont globalement négatives, mais teintées de prudence et de résignation. 

Le Luxembourg critique en demi-teinte

Au Grand-Duché, la classe politique tout entière s’est exprimée -  dans des propos nuancés n’exprimant pas d’unanimité. Cité par le site d’information Virgule.lu, le Premier ministre luxembourgeois se déclare pro-Schengen et affirme que « la fermeture entre l’Allemagne et le Luxembourg doit être résolue de manière pragmatique pour les frontaliers allemands».  Virgule.lu cite la position très prudente exprimée par le ministre de l’Intérieur de ministre des Affaires intérieures luxembourgeois. Dans l’hebdomadaire d’Lëtzebuerger Land, Léon Gloden (CSV) déclare : « Je ne me mêle pas de la politique intérieure en Allemagne. L’accord de Schengen prévoit certaines mesures et ces contrôles sont autorisés».  

La députée écologiste Sam Tanson a choisi le quotidien le Wort pour pointer la « non-réaction » du gouvernement. La réaction la plus ferme émane des socialistes de la Grande Région, qui dénoncent dans un communiqué commun « des contrôles disproportionnés » et souhaitent que les acquis de Schengen ne soient pas remis en question. 

En Lorraine, colère et applaudissements

En Lorraine, le Républicain lorrain décrit une classe politique divisée et une population globalement indifférente. Selon le maire de Forbach, Alexandre Cassaro, « fermer les frontières est contre-productif car pénalisant économiquement et pour l’amitié franco-allemande ». Le député RN de la circonscription, Kevin Pfeffer, applaudit au contraire une mesure que son parti appelait de ses vœux. « On ne prône pas les contrôles à toutes les frontières, 100 % du temps », assure le député, qui estime que « les policiers savent cibler les véhicules à arrêter et connaissent les points de passage sensibles ». L’extrême-droite allemande n’est pas tout à fait sur la même longueur d’ondes, puisqu'un député sarrois AFD estime que « les contrôles ne seront efficaces que lorsque les postes-frontières seront occupés 24 heures sur 24 et que les personnes seront également contrôlées dans les trains et les aéroports »

Une Sarre inquiète pour le franco-allemand

En Sarre, l’inquiétude est palpable. Le ministre de l'Intérieur Reinhold Jost, a clairement indiqué qu'il ne soutiendrait pas une fermeture complète des frontières. « Il est très, très important pour nous que les habitants de la Sarre puissent traverser la frontière vers la France et le Luxembourg, et revenir en Sarre sans grands obstacles. C'est pourquoi nous n'accepterions pas une fermeture totale des frontières comme pendant la période du Covid-19, mais cela ne semble pas être envisagé pour le moment. », estime le ministre, qui plaide également pour  des discussions ouvertes avec Berlin sur ce sujet sensible.  

 « Il faut remettre en question de manière critique les restrictions potentielles pour les citoyennes et citoyens de la Sarre et de la région frontalière », estime Reinhold Jost. 

Sur les sites SaarNews et Sol.de, plusieurs acteurs locaux ont exprimé leur crainte face aux conséquences d'une telle mesure sur les relations transfrontalières. 

Le Grand Est en désaccord

Le conseil régional du Grand Est a attendu le lendemain du retour des contrôles, le 17 septembre,  pour exprimer un désaccord énergique par la voix de son président Franck Leroy.

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Franck Leroy, président de la Région Grand Est © F. Florin / AFP

“Bien que temporaire, cette mesure exceptionnelle remet en question l'un des principes fondamentaux de l’espace Schengen : la libre circulation. Elle aura un impact direct sur nos territoires frontaliers, tant sur la vie quotidienne de nos concitoyens que sur l’activité de nos entreprises. Dans ce cadre, je regrette vivement qu’aucune concertation préalable n’ait eu lieu,” proteste Frank Leroy. 

Au cours d’un déjeuner de presse du 12 septembre dernier, Patrick Weiten président du conseil départemental de la Moselle, a condamné clairement une décision jugée politicienne.

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Patrick Weiten, Président du conseil départemental de la Moselle. © Guillaume Ramon.

« Lors du Covid, je me souviens de la fermeture des frontières décidée par le gouvernement allemand comme d’une blessure. Le retour d’hommes armés et de barrages aux frontières nous renvoyait à des heures sombres. Je pense aux habitants qui feront l’objet de contrôles renforcés lorsqu’ils iront acheter leur pain. Je regrette une décision politicienne et inopportune et j’espère qu’elle ne perdurera pas ». 

Un contrôle “intelligent” ?

A Strasbourg, le pont de l’Europe entre Kehl et Strasbourg demeure, en dépit de son nom, le point névralgique des contrôles aux frontières. Les réactions en Alsace à l'annonce de ces contrôles prévus pour six mois sont variées. Au micro de France Inter ou face aux caméras de France 3, certains frontaliers témoignent de l'agacement et de l'incompréhension face à la résurgence des contrôles.  D’autres approuvent la décision des autorités allemandes au nom des préoccupations de sécurité.   

Tout au long des frontières, les autorités nationales et locales assurent que les mesures appliquées au nom de la lutte contre l'immigration illégale veilleront ià ne pas trop affecter les 50.000 travailleurs frontaliers alsaciens et mosellans. Il n’en reste pas moins que ces mesures touchent les frontaliers, qui devront désormais sortir leurs papiers d’identité régulièrement. Bien que les autorités assurent que les contrôles seront "intelligents" et moins stricts qu'à l'époque du Covid, ils auront un impact sur la fluidité des passages. Ministre fédérale allemande de l’Intérieur, Nancy Faeser, n’a pas communiqué d’ordres clairs aux forces de l’ordre allemandes en charge des contrôles. Certains postes-frontières, tels celui qui sépare Eupen d'Aix-La-Chapelle, semblent faire l’objet de contrôle beaucoup moins intensifs qu’à la Brême d’Or ou au pont de l’Europe. Là où certains se félicitent de contrôles « intelligents », d’autres redoutent un flou qui dissimule potentiellement l’arbitraire.

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