Ces murs de verre frontaliers que le Borders forum propose de briser
Au terme de deux jours de discussions et d’ateliers, les participants au rendez-vous bisannuel parisien organisé par la Mission opérationnelle transfrontalière ont rendu leurs propositions pour s’acheminer vers un « Cross border deal », qui doit permettre d’accélérer la cohésion transfrontalière dans l’Union européenne.
Les propositions ont été servies toutes chaudes du remue-méninges organisé le matin même à la Cité internationale universitaire de Paris. Ce mardi, les participants au 3e Borders forum organisé par la Mission opérationnelle transfrontalière (Mot), association de lobbying des espaces frontaliers français, ont phosphoré dans le cadre d’ateliers thématiques sur les leviers à actionner pour favoriser la cohésion transfrontalière. Dès l’après-midi, leurs propositions ont été soumises à des représentants de l’Union européenne, de l’Allemagne et de la France. Elles défendent les aspirations à plus d’intégration de ces territoires qui rassemblent plus de 30 % de la population européenne, alors que les tensions croissent aux frontières et qu’une nouvelle Commission vient d’être nommée.
Oser un "cross-border deal"
La veille, les participants, venus de toute l’Europe et issus notamment de structures transfrontalières, s’étaient échauffés autour de tables-rondes dans lesquels sont intervenus des spécialistes et des élus. Christian Dupessey, le président de la Mot, a lancé : « Face à la fragilisation des frontières, osons penser la spécificité des bassins de vie transfrontaliers, osons un ‘’cross-border deal’’ ! »
Au cours de cette première journée, Karl-Heinz Lambertz, l’élu flamand président de l’Association des régions frontalières européennes, a souligné :
« Nous avons un message à passer aux institutions européennes. Si l'Europe ne veut pas disparaître de la scène internationale, nous avons besoin de beaucoup plus de cohésion. Le renouveau de l'Union peut partir de la complexité et de la diversité vécues par les régions frontalières. Le vrai défi est de se battre pour le maintien d'une politique de cohésion forte, en particulier territoriale avec le programme Interreg ! »
Le transfrontalier n’est que du flux
La philosophe Gabrielle Halpern a enfoncé le clou : « La balle est dans le camp du politique. Or, les élus donnent du sens à leur mandat sur leur territoire d’élection. Il faut qu’ils dépassent cette vision et qu’ils pensent leur territoire comme un écosystème. Le transfrontalier n’est que du flux, il appelle des politiques innovantes hybrides. C’est l’avenir qui nous oblige, et le défi est de s’inscrire dans une prospective. »
Genève inspire l’urbanisme Sarro-mosellan
Les bases étaient posées et le ton était donné. Les ateliers du mardi ont moissonné les propositions tirées d’études de cas, mais surtout des expériences des protagonistes. Plusieurs structures du Rhin supérieur et de la Grande Région ont participé à l’exercice. L’Eurodistrict SaarMoselle a présenté les étapes qui ont conduit à la validation toute récente du projet Interreg d’agglomération Prisma, dans un atelier consacré à l’urbanisme.
« Prisma veut porter une vision commune de l’agglomération transfrontalière. Cela commence par le partage des infos, par-delà les différences de langues, l’harmonisation des schémas, des stratégies, des procédures et des outils. Nous partons sur un projet similaire à celui qui s’est développé autour de Genève. Ce premier contact avec eux nous encourage et va nous permettre de bénéficier de leur retour d’expérience », résument Meike Argast, du Regionalverband Saarbrücken, et Anne Galliou, de l’Eurodistrict SaarMoselle.
Rencontres croisées
Infobest Pamina, qui a témoigné de l’évolution de ses missions dans l’atelier dédié aux services publics, met en avant les mêmes vertus de réseautage. A l’inverse, le service d’information transfrontalier pourrait faire l’objet de visites de la part de structures intéressées par son fonctionnement.
L’Euro-Institut de Kehl et l’Eurométropole de Strasbourg ont animé l’atelier consacré à la participation citoyenne. Clément Girard, directeur de la participation citoyenne à l’Eurométropole de Strasbourg, et Anne Thevenet, directrice adjointe de l’Euro-Institut de Kehl, détaillent :
« Il est ressorti que pour établir un cadre de coopération commun, il faut partir de la même définition du sujet, s’assurer d’avoir identifié un sujet qui ait du sens des deux côtés, ainsi qu’un porteur qui soit identifiable par les citoyens. Les objectifs doivent être réalisables par les parties prenantes pour donner des suites concrètes aux initiatives. En retour, les réponses doivent être claires et transparentes. Enfin, il est nécessaire de comprendre que l’engagement s’inscrit dans la durée. »
Le sentier du transfrontalier
L’atelier culture et citoyenneté transfrontalière a été piloté par le GECT Eurhena (Eurodistrict Freiburg- Centre et sud Alsace) et la Collectivité européenne d’Alsace. Delphine Mann, secrétaire générale d’Eurhena en a présenté les résultats, avant de distribuer des autocollants Eurhena pour clamer la fierté d’habiter aux frontières :
« La culture permet de toucher par les sens et par le coeur. Nous devons rendre visibles nos lieux de vie communs par des symboles. Nous proposons de créer un sentier qui relie les zones transfrontalières entre elles. Pourquoi aussi ne pas créer un label Villes transfrontalières capitales européennes de la culture ? »
Dialogues citoyens locaux
Les représentants des Etats et de l’Union européenne ont largement soutenu les propositions.
« La Commission organise des débats [dans la perspective de l’élaboration du prochain programme Interreg, NDLR], mais à mon avis pas assez au niveau local. Si de tels dialogues citoyens étaient organisés par les acteurs locaux aux frontières, la réalité transfrontalière serait mieux prise en compte », a proposé le député européen italien Sandro Gozi.
Le Lorrain Philippe Voiry, ambassadeur français pour les Questions transfrontalières, a notamment souligné : « Les désaccords sur des questions de financement sont avant tout des questions de gouvernance. Les GETC peuvent être une bonne solution, pour gérer ces questions, là où ils existent. C’est une bonne raison d’en créer, là où ils n’existent pas. »
L’espérance de vie d’Interreg
Slawomir Tokarski, le directeur de la Coopération européenne à la Commission européenne, s’est enfin voulu rassurant, face aux inquiétudes exprimées quant à la pérennité du programme Interreg : « Je suis confiant. Une grande partie de la population européenne vit dans les régions frontalières. Dans la compétition actuelle avec la Chine et les Etats-Unis, chaque détail compte. On ne peut pas laisser de côté le potentiel de ces territoires. »
La Mot publie dès aujourd’hui sur son site internet la synthèse des propositions. Avec ses membres et son réseau de partenaires, elle espère que les institutions s’en saisiront pour voir s’épanouir un « Cross-border deal » d’ici 2050.
De g. à dr.,W.Szydarowski,directeur d'Espon,S.Gozi,député européen,P.Voiry, ambassadeur français pour la coopération transfrontalière,J.Seifert, secrétaire d’État allemande et S. Tokarski,directeur Interreg,ont commenté les propositions. ©R. Gascon