Alsace - Rhin supérieur

« Enfantillages » retrace deux siècles d’ébullition de l’illustration jeunesse alsacienne

L’Alsace a nourri une remarquable édition jeunesse, dès le début du XIXe siècle. L’exposition « Enfantillages, l’Alsace aux prémices de l’illustration jeunesse » en parcourt les racines allemandes et françaises, au palais Rohan de Strasbourg.

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Pierre l'ébouriffé et le bon Paul : histoire morale en 12 images destinée à la récréation et à l'instruction de l'enfance. Wissembourg, F. Wentzel, 1869 (27,8 x 21,5 cm) Strasbourg, Bibliothèque des Musées. Photo : M.Bertola / Musées de Strasbourg

Dans l’équipe qui a concouru à faire de Strasbourg la Capitale mondiale du livre Unesco 2024, figurent pêle-mêle l’inventeur de l’imprimerie moderne Gutenberg, le dessinateur Tomi Ungerer, le peintre Gustave Doré… et l’illustration jeunesse ! Au contact de la France et l'Allemagne, l’Alsace a joué un rôle de premier plan dans ce secteur de l’édition, dès sa naissance au début du XIXe siècle. L’exposition « Enfantillages, l’Alsace et les prémices de l’illustration jeunesse » brosse cette histoire haute en couleur et non exempte de tragédies au palais Rohan, jusqu’au 17 février.

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Les deux commissaires de l'exposition "Enfantillages, l’Alsace aux prémices de l’illustration" : Florian Siffer, responsable du Cabinet des estampes et des dessins, et Christine Esch, responsable de la Bibliothèque Alsatique du Crédit Mutuel. DR

« Raconter la grande histoire de l’édition jeunesse en Alsace avec cette ampleur de vue est une première. Nos recherches ont notamment fait ressortir la place singulière de la région. A la croisée de la France et de l’Allemagne, l’Alsace constitue une porte d’entrée pour les œuvres produites dans les deux pays », explique Florian Siffer, responsable du Cabinet des estampes et des dessins et l’un des deux commissaires de l’exposition.

Porte d’entrée enchantée

Les écrits du chanoine allemand Schmid, qui connaissent un succès international au début du XIXe siècle, pénètrent ainsi en France par l’Alsace. L’éditeur strasbourgeois Levrault fait figure de spécialiste de l’auteur et de précurseur, en agrémentant ces textes moralisateurs de premières illustrations dès 1822. La proximité géographique et culturelle d’avec le voisin allemand concerne aussi la Moselle. Autre classique de la littérature jeunesse allemande, Struwelpetter (1845), du psychiatre allemand Heinrich Hoffmann, est ainsi adapté en français à Metz dès 1850 sous le titre de Pierre l’ébouriffé. Il est édité à plusieurs reprises en Alsace à partir de 1868.

Un pivot technologique

Aux côtés de ces images et textes visant à instruire, l’exposition fait dans une deuxième section la part belle aux images conçues pour distraire, tirées notamment de la production de l’Imagerie de Wissembourg. L’émergence de l’« album », à partir des années 1860, fait basculer la primauté du texte à l’image. Cette saga est évoquée dans une troisième section à travers une pléiade d’illustrateurs de premier rang originaires d’Alsace, depuis Gustave Jundt, Charles Émile Matthis ou Théophile Schuler au XIXe siècle, jusqu’à Henry Morin, Philippe Fix et Tomi Ungerer au XXe siècle. Les contes et les légendes ont aussi leur espace dédié. Leur restitution en Alsace à partir du début du XIXe siècle s’inspire du travail de collecte alors en vogue en Allemagne. « C’est une autre forme de transfert culturel. Le premier à s’y intéresser est Goethe, quand il vit à Strasbourg », souligne Florian Siffer.

Le commissaire ajoute : « L’Alsace a aussi une situation de pivot sur le plan technologique. La lithographie, inventée à Munich, facilite la reproduction des images et diminue les coûts de production. La technique s’implante précocement en Alsace, dès 1810-1820, beaucoup plus tôt que dans le reste de la France. »

Enfantine propagande

Les ouvrages jeunesse alsaciens n’échappent pas aux turpitudes du monde des adultes. « Les liens entre France et Allemagne sont abordés régulièrement dans l’exposition à travers les thématiques retenues et le travail des illustrateurs, que celui-ci soit libre ou dirigé par les éditeurs. La thématique des conflits, à partir de 1870, donne lieu à une littérature spécifique dont les illustrateurs se saisissent souvent eux-mêmes », souligne Christine Esch, responsable de la Bibliothèque alsatique du Crédit Mutuel et seconde commissaire de l’exposition.

Gustave Jundt choisit ainsi de faire vivre son jeune héros Hans au bord d’un fleuve familier, dont la rive opposée est habitée par un géant patibulaire. Dans Pique-Toto, la Paix et la Guerre (1888), Charles Émile Matthis convoque la figure du grand-père qui raconte la patrie perdue. « Il fait partie de ces albums qui veulent faire perdurer le souvenir chez les familles qui ont opté * », explique Christine Esch.

En 1917, la strasbourgeoise Paula Jordan illustre Ich hatt einen Kameraden : ein Kriegsbuch für unsere Kleinen (J’avais un camarade : un cahier de guerre pour nos petits), de Karl König. Paru dans la Strasbourg capitale du Reichsland Elsass-Lothringen, l’ouvrage met en scène deux amis allemand et alsacien qui fraternisent au combat. Pendant la Drôle de guerre, en 1939-1940, une éphémère Imagerie de l’armée du Rhin est créée à l’initiative du général français de Lattre de Tassigny. À travers cette littérature qui instrumentalise les images, les enfants sont simultanément cibles et vecteurs de propagande.

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Louis-Joseph Soulas (graveur) Le Loup devenu berger Strasbourg, Imagerie de l’Armée d’Alsace, 1939 (38,5 x 60 cm) Strasbourg, Cabinet des Estampes et des Dessins. Photo : M.Bertola / Musées de Strasbourg

Pacifique syncrétisme

« Enfantillages, l’Alsace aux prémices de l’illustration jeunesse » poursuit son chemin jusqu’en 1972. Avec la création de l’atelier d’illustration de l’École des arts décoratifs (actuelle Haute école des arts du Rhin) par le mosellan Claude Lapointe, une nouvelle génération d’illustrateurs et d’illustratrices apparaît à Strasbourg. « Ce qui semble émerger alors, c’est une littérature jeunesse qui veut se tourner vers une histoire commune franco-allemande de l’Alsace », analyse de façon plus heureuse Christine Esch.

*Après la guerre de 1870, le traité de Francfort donne aux Alsaciens et Mosellans la possibilité d’opter pour la nationalité allemande ou française. Dans le second cas, ils doivent émigrer sur le territoire français.

« Pas de livres pour enfants. Enfantillages chapitre 2 »

À partir de ce 22 novembre, la suite chronologique de l’exposition « Enfantillages » se déploie au Musée Tomi Ungerer – Centre international de l’Illustration, à Strasbourg. Avec pour point de départ l'œuvre de Tomi Ungerer, elle examine l’évolution moderne de la littérature jeunesse vers un art où les enfants construisent eux-mêmes le sens de l’œuvre.

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Les fables de La Fontaine illustrées par l'Alsacien Raymond de la Nézière. Le chat et le vieux rat, tirés à part, Tours, Mame, sd. [1930] (30 x 25 cm) Strasbourg, Bibliothèque Alsatique du Crédit Mutuel Photo : M.Bertola / Musées de Strasbourg.

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